La patrie ne connaît pas de frontières

Berne, 31.07.2018 - Discours du 1er août prononcé par la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga à Muttenz. La parole prononcée fait foi.

Monsieur le Conseiller d'État,
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités politiques,
Mesdames et Messieurs,

Lorsque j'ai reçu l'invitation pour cette fête du 1er août, je me suis souvenue d'un souper chez des amis près de Muttenz, il y a quelques années. Le fils de la famille, qui avait alors neuf ans, m'a expliqué ce soir-là quelles étaient pour lui les pires choses au monde. Il m'a dit, je cite :

  • premièrement, la guerre ;
  • deuxièmement, la rhubarbe ;
  • et troisièmement, qu'on me prenne pour un Bâlois de la ville.

Je savais donc que ce n'était pas à Bâle que je venais aujourd'hui, mais à Bâle-Campagne. J'étais contente. On m'a raconté sur Muttenz des choses qui me plaisent bien.

  • On m'a parlé, par exemple, du Campus de Muttenz, sur le Polyfeld. J'ai pu le visiter cet après-midi, et si j'avais pu, je me serais inscrite tout de suite. L'architecture m'a impressionnée. On m'a parlé d'une nouvelle filière d'études qui relie trois disciplines et trois nations. On sent bien là une atmosphère créative et stimulante.
    Cette atmosphère sera demain celle de Muttenz. Des jeunes, hommes et femmes, nombreux et curieux, venant de partout en Suisse et de l'étranger aussi, qui se rencontreront pour discuter et échanger, sur le campus et dans les cafés de Muttenz.

  • On m'a aussi parlé du "Auhafen", une plateforme commerciale de premier plan, avec les deux autres ports sur le Rhin. Mais aussi une porte qui ouvre la Suisse aux mers et au monde.

Cette ouverture et cette convivialité me plaisent. Elles ne vont pas de soi.

Nous le ressentons tous : le monde devient plus tumultueux, plus compliqué.

De par le monde, 68 millions de personnes sont en fuite, un chiffre encore jamais atteint. Elles quittent leur foyer parce qu'elles sont chassées par la guerre, la violence ou la persécution. Parce que leur approvisionnement en eau, leurs écoles, leurs hôpitaux - tout ce qui leur permet de vivre - sont détruits.

Cette dégradation m'inquiète. Et je ne suis pas la seule à m'alarmer de constater, dans le même temps, une diminution de la volonté de gouvernements importants d'œuvrer en faveur de la paix.

L'Europe aussi est devenue plus tumultueuse.

Il me semble qu'une sorte de compétition s'est engagée tout autour de notre pays. C'est à qui s'exprimera de la manière la plus dépréciative sur les réfugiés. À qui proposera des mesures encore plus dures pour les empêcher d'arriver en Europe.

Cette situation ne devrait-elle pas nous faire réfléchir ? Surtout quand on sait que cinq réfugiés sur six ne se trouvent pas en Europe. 85 pour cent de tous les réfugiés sont accueillis par les pays les plus pauvres du monde. C'est d'eux dont nous devrions nous occuper, et des habitants, par exemple de la Jordanie ou de l'Éthiopie, qui n'ont pas grand-chose eux-mêmes et doivent partager leurs maigres ressources en eau et leurs terres arides avec les réfugiés.

Il est donc faux de dire que tous les réfugiés viennent en Europe. Mais si nous cessons de nous laisser émouvoir par le destin de ces femmes et de ces hommes en fuite, alors nous perdons une part de notre humanité.

Même lorsque des migrants n'ont pas droit à la protection de l'asile et sont tenus de quitter notre pays, aucune loi ne nous impose de nous fermer à eux. Encore moins lorsqu'ils sont sans patrie.

Mais que signifie être sans patrie, au fond ?

Il y a des sondages sur ce que signifie la patrie. Beaucoup de gens répondent : "La patrie, c'est le lac de Constance", ou "le lac de Thoune", ou encore "le lac de Zurich, bien sûr !" D'autres répondent "La ville de Lausanne !" "Le Säntis." "Les panneaux de randonnée jaunes."

Pour beaucoup de personnes, la patrie, c'est aussi la culture et les traditions : les cloches des églises qui sonnent, le ski, le bistrot du coin. Mais la réponse que l'on entend le plus souvent est celle-ci : la patrie, c'est ma famille, les gens que j'aime.

Et il en va de même pour moi. L'Aar et la forêt du Gurten sont importants, mais ce qui est encore plus important, ce sont les gens qui me sont proches.

Proche. Ce mot a une dimension géographique, et je me suis demandé s'il y avait là des frontières ? Les gens qui me sont chers, où cela s'arrête-il ? À la barrière du jardin ? Aux confins du canton ? À la frontière du pays ? Perdent-ils leur importance lorsque je suis à l'étranger ?

Il n'en est rien, bien entendu. Au contraire : c'est là que nous avons le mal du pays. Quand nous sommes loin de chez nous, les gens qui sont une partie de notre vie nous manquent, celles et ceux qui sont là pour nous réconforter quand nous avons besoin de l'être.

Nous sommes ainsi véritablement sans patrie lorsque nous n'avons pas autour de nous des gens qui nous sont vraiment proches. C'est alors l'essentiel qui nous manque. La patrie n'est pas liée à un endroit en particulier. Les gens peuvent être une patrie les uns pour les autres n'importe où dans le monde.

Ici à Muttenz par exemple. Le centre fédéral d'asile de Feldreben est en service depuis bientôt deux ans. Vous avez accepté que des réfugiés deviennent une partie de votre petite ville. Que Muttenz donne son accord à la Confédération pour l'ouverture de ce centre n'était pas une évidence, pas plus que ne l'est aujourd'hui sa disponibilité à prolonger son engagement. J'aimerais vous en remercier toutes et tous. Vous donnez ici un refuge à des gens qui vous sont étrangers, vous leur permettez d'avoir un chez-soi. Vous les saluez, peut-être qu'une conversation s'engage. Vous leur donnez ainsi une patrie, même si elle n'est que temporaire.

Une patrie, qui est prête à devenir aussi une patrie pour d'autres.

Au final, je dois vous avouer qu'il se peut que je n'aie pas tout à fait bien compris le jeune fils de mes amis. Peut-être qu'avec sa liste des choses les plus insupportables, il voulait simplement me dire que c'est au fond bien égal, qu'un Bâlois soit de la ville ou de la campagne, et qu'il y a bien pire dans ce monde. La rhubarbe par exemple.

 


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